L'une des plus grandes innovations démocratiques du monde est sur le point de faire son grand retour là où elle a été inventée : mon pays, le Brésil. L’histoire de la montée en puissance, du déclin et de la résurgence de cette innovation (le budget participatif) offre par ailleurs des leçons pour le monde entier.

Le budget participatif est une création du Brésil, introduite pour la première fois à Porto Alegre en 1990. Dans le cadre du budget participatif, les Brésiliens ordinaires se réunissent et décident eux-mêmes de l'utilisation d'une partie du budget de leur administration locale.  Les réunions et les débats ne sont pas faciles, mais les gens aiment avoir le pouvoir. L'idée s'est donc rapidement répandue dans d'autres villes, avec le soutien du Parti des travailleurs, dont j'étais membre. 

À l'époque, le Parti des travailleurs n'était pas au pouvoir au niveau national, mais comptait dans ses rangs de nombreux maires et gouverneurs d'État. Le budget participatif s'inscrivait dans le cadre de nos efforts visant à impliquer davantage de Brésiliens là où ils habitent. 

Dans les années 2000, j'ai pu observer le budget participatif de très près à Recife, ma propre ville, capitale de la province de Pernambouc, dans le nord-est du pays. Nous l'avons largement utilisé au niveau des quartiers, afin que les habitants puissent fixer des priorités en matière de dépenses et choisir des projets spécifiques qu'ils souhaitaient mener à bien. 

À l'époque, je travaillais au gouvernement sur des questions de santé et nous étions intrigués et souvent surpris par les choix des gens. Dans de nombreuses situations, nous supposions que les gens avaient un ensemble de priorités, mais nous découvrions que les critères de priorités étaient totalement différents lorsque nous leur demandions de prendre une décision.

Un exemple en particulier a déjoué nos attentes. Nous pensions qu'un groupe de quartiers allait donner la priorité à la construction d'un bureau de santé publique ou d'une clinique. Mais grâce au processus de budget participatif, les habitants des quartiers ont indiqué qu'ils voulaient en fait quelque chose de différent : l'extension d'un programme existant appelé "City Gym" qui fournissait un espace pour les loisirs et l'exercice. 
La construction d'un gymnase municipal leur a permis de disposer d'un lieu où ils pouvaient se consacrer à leur santé, courir et marcher, ainsi que rencontrer des amis. Les citoyens voulaient également des équipements d'exercice. Le budget participatif leur a permis d'obtenir ce qu'ils voulaient. Il semble également que cela a contribué à améliorer la santé des habitants, en réduisant le stress et le risque de diabète. Une évaluation internationale a de ce fait recommandé le programme "City Gym" à d'autres pays.

En observant le processus de budget participatif, ceux d'entre nous qui travaillent dans le domaine de la santé publique ont appris à quel point il est important d'être à l'écoute des gens. Nous avons aussi développé d'autres programmes importants pour les citoyens, comme le programme de santé familiale, une équipe nationale composée de médecins et prenant en considération les soins primaires. Nous avons également appris que nous devions parler aux gens plus souvent, si nous voulions les convaincre de donner la priorité aux dépenses dans un domaine que nous voulions promouvoir. 

La création de budgets participatifs a connu un tel succès dans les communautés locales du Brésil qu'elle s'est répandue dans le monde entier, notamment dans plus de 11 000 communautés, selon un atlas qui documente le processus. Les processus de budget participatifs ont par ailleurs remporté de nombreux prix pour leur innovation et leur engagement. 

Mais au Brésil, son berceau, ce procédé est de moins en moins utilisé. Que s'est-il donc passé ? La cause principale de ce déclin n'est autre que la résistance exprimée par de nombreux fonctionnaires qui ne voulaient pas céder le pouvoir aux citoyens ou qui trouvaient que la mise en place du processus était difficile.  Les priorités de mon parti ont changé. Lorsque nous avons remporté les élections présidentielles et pris le pouvoir au niveau national, nous nous sommes désintéressés des mairies et des gouvernements d'État. 

Ce fut une énorme erreur.  En effet, lorsque le budget participatif a décliné, les gens sont devenus moins engagés et organisés. Ainsi, lorsque l'extrême droite a pris le pouvoir, les citoyens ne se sont pas mobilisés pour résister. La démocratie est une chose qui demande de la pratique. 

Bien que le Parti des travailleurs vient de remporter à nouveau la présidence, cette fois, nous ne répéterons pas notre erreur. En tant que sénateur, le budget participatif et les programmes démocratiques de ce type constituent une grande partie de notre travail. 

En effet, notre nouveau président, Lula, prépare un programme de budget participatif au niveau national. Il s'agit d'un sujet important dans les discussions au niveau du gouvernement fédéral, où nous espérons l'appliquer aux budgets de planification sur une période de quatre ans. 

J'aimerais qu'elle soit utilisée plus largement pour prendre des décisions dans chaque État et dans les municipalités. Une hausse de participation pourrait aider à fixer des priorités afin de traiter de nombreuses questions, comme la santé, l'éducation et la sécurité publique.

Créer ce processus au niveau national ne sera bien sûr pas facile et demandera beaucoup de temps. Mais c'est une étape importante. Il est temps de remobiliser cette idée brésilienne emblématique afin que les Brésiliens puissent à nouveau définir leurs propres priorités et prendre leurs propres décisions pour l'avenir.