Un pays se met en quarantaine, un pays se rend aux urnes...
Les élections locales en France étaient prévues les 14 et 21 mars dernier, mais avec l'arrivée du Coronavirus en France, cet agenda a complètement été bouleversé.
En France, les élections locales se déroulent sur deux tours espacés d'une semaine : seules les listes qui reçoivent plus de 10% passent au second tour, en revanche si une liste reçoit plus de 51% au premier tour, le candidat à la mairie est élu directement.
Alors que le vendredi précédant le dimanche des élections, le gouvernement prend la décision controversée de maintenir le premier tour des élections, il décide, le lendemain de ces mêmes élections, le confinement de la population. Dans une atmosphère de confusion totale et d'inquiétude pour leur sécurité et leur santé, un grand nombre d'électeurs décident donc de ne pas aller voter, explique Raul Magni Berton, professeur en Sciences Politiques.
Le taux de participation atteint des niveaux excessivement bas passant de 63% aux dernières élections à 46 % aujourd’hui, le nombre de listes ayant obtenu les 51 % de voix nécessaires pour être élues au premier tour a, lui, largement augmenté. Environ 20 000 maires (sur 36 000 municipalités) ont assuré leur élection sans même le second tour du scrutin. Lors des dernières élections locales, le nombre de maires élu au premier tour n'était que de 7 000. L'abstention des électeurs a donc dépassé les clivages politiques et eu des conséquences significatives.
Des maires déprimés et des programmes électoraux illégaux
État très centralisé, la France laisse peu de place à l'action locale. La précédente mandature a enregistré un grand nombre de démission de maires pour cette raison. Lors de ces élections, 106 villes n'avaient même aucun candidat à la mairie, c’était seulement 60 villes lors des dernières élections. Ce manque de moyens d’action au niveau local a également conduit à une situation absurde où presque toutes les listes municipales ont inclus dans leur programme des propositions qui sont techniquement « illégales », déclare Magni Berton. Elles contenaient notamment des plans pour une démocratie plus directe et plus participative alors même que l'État français n’en n’autorise pas la pratique.
Parmi ces listes on retrouve « À nous la démocratie », un mouvement de citoyens pour la démocratie directe, qui s'est présenté dans dix villes ; de la plus petite (Maillé - 500 habitants) à la plus grande, Paris. Le principal objectif de ce mouvement national est de ramener les citoyens au centre du processus décisionnel, avec notamment pour principales revendications, la création d’une assemblée de citoyens tirée au sort comme nouveau sénat et l’établissement des référendums d’initiative citoyenne. Ils ont franchi l'obstacle des 10 % pour passer au second tour dans quatre villes : Poitiers, Nancy et les 10e et 18e arrondissements de Paris. Ils ont également frôlé la barre des 10 % dans le 9e arrondissement de Paris et à Sarcelles, ce qui les place en bonne position pour fusionner avec une autre liste et passer au second tour en tant que coalition.
Les réunions stratégiques des parties en tant de confinement
Annette Mathieu, qui a conduit la liste « À Nous la Démocratie » à Nancy, explique notamment que, même si le scrutin se déroulait comme prévu, les principales inquiétudes des assesseurs des différents partis étaient les normes de sécurité et le manque de précautions dans les bureaux de vote face à la crise sanitaire qui s’était installée.
Les jours qui ont suivi le premier tour des élections ont été particulièrement éprouvants pour ces petites listes, explique Serge Ollivier de « À Nous la Démocratie ». En effet, ces listes se situent dans une zone d’incertitude, ayant souvent récolté 5 à 10 % des voix, il est encore possible, pour elles, de fusionner avec une autre liste et ainsi passer au second tour en tant que coalition. La date limite pour s’enregistrer en tant que telle tombe traditionnellement le mardi après l'élection, mais dans les circonstances actuelles, il était clair que le second tour de scrutin serait reporté, pour autant elles n’avaient aucune information sur le report de cet enregistrement. Dans de nombreux endroits, des listes ont été obligées de se réunir, alors même que le confinement avait été mis en place.
Une grande incertitude entoure maintenant le second tour ! Annoncé pour le mois de juin, il pourrait maintenant n'avoir lieu qu'en octobre. De plus, la Cour Constitutionnelle a également jugé nécessaire de refaire le premier tour, mais sa décision n’a pas encore été rendue officielle.
Un pays très divisé mais évoluant vers la participation citoyenne
Le pays ayant connu une agitation sociale intense au cours de deux dernières années, ces élections municipales avaient placé le thème de la participation citoyenne au cœur du débat politique. Depuis le début des manifestations des Gilets jaunes en Novembre 2018, les questions de participation citoyenne, de démocratie directe démocratique et de réforme de la gouvernance sont progressivement passées au premier plan, explique Clara Egger, docteur en Sciences Politiques.
En particulier, la revendication des Gilets jaunes, le RIC, le Référendum d’Initiative Citoyenne, est devenue un sujet de discussion dans tout le pays. A travers ces discussions, une multitude de listes de citoyens et de listes représentant la société civile ont ensuite émergé pour se présenter aux élections municipales. Elles sont maintenant particulièrement menacés, car elles n'ont ni les fonds, ni les réseaux et ni les infrastructures nécessaires pour prolonger ou recommencer leur campagne pour le second tour reporté, ou éventuellement pour se représenter à un nouveau premier tour.
Regardez l'intégralité de la conversation ici :