Dane, vous avez fondé l'Initiative and Referendum Institute il y a presque 20 ans. Quelle était votre vision pour l'Institut ?
Je suis né en Alabama, où nous n'avons pas le processus d'initiative et de référendum. Je n'avais donc jamais entendu parler de ce processus, avant de commencer de travailler pour US Term Limits, une organisation qui faisait pression pour imposer des limites de mandat aux fonctionnaires et aux membres du Congrès. US Term Limits utilisait le processus d'initiative pour pousser leur agenda et il était donc intéressant pour moi d'apprendre qu'un tel processus existait.
Une chose que j'ai trouvée pendant que je travaillais là-bas, c'est qu'il n' y avait pas d'information pour apprendre comment mettre les questions sur le bulletin de vote. Ainsi, lorsque j'ai quitté US Term Limits pour créer l'Initiative and Referendum Institute, j'ai surtout cherché à créer un centre d'échange d'informations pour les personnes qui voulaient utiliser le processus.
Nous n'étions aucunement idéologiques, nous voulions simplement montrer que c'est un processus important et enseigner aux gens comment l'utiliser. J'ai également commencé à rassembler des recherches académiques sur le processus et j'ai essayé de l'amener à un foyer central pour toutes les personnes qui voulaient étudier la démocratie directe. C'était donc ça l'ambition.
Les États-Unis ont une très forte histoire de démocratie directe, voyez-vous une différence dans la participation et culture politique entre les États qui ont l'initiative citoyenne ou le referendum et ceux qui n'en ont pas?
Il y a beaucoup de différences. Sur le plan académique, si l'on regarde les 24 États qui ont le processus d'initiative dans ce pays, on constate que, pour la plupart, ils ont été plus réceptifs à la volonté du peuple. Parce que les gens ont le processus d'initiative pour présenter des démandes aux législateurs, ou quand les législateurs n'ont pas voulu aborder certaines questions, les gens peuvent le faire. Je dirais qu'il y a plus de démocratie dans les États qui ont le processus d'initiative que dans les États qui n'en ont pas.
Mais si vous le comparez à d'autres pays, nous faisons partie de ces pays qui n'ont jamais tenu de vote national sur une question politique spécifique. Je pense que cela a été un problème pour nous, car ces procédés sont une sorte de valve de sécurité. Lorsque des questions très complexes et émotionnelles doivent être abordées et les législateurs ne s'en occupent pas, les gens ont cette valve de sécurité. À l'échelle nationale, nous n'avons pas cela.
Vous avez mentionné que les États américains qui ont le processus d'initiative et de référendum ont une plus grande démocratie en général. Voyez-vous également un effet de ces instruments sur la démocratie représentative et les élus de ces États?
Ce que vous voyez généralement, c'est que les législateurs comprennent que les citoyens ont l'intention d'utiliser le processus d'initiative pour faire quelque chose, et que les législateurs s'y attaqueront à l'avance d'une manière qui leur convient. C'est une impulsion pour pousser les législateurs à agir, afin qu'ils puissent conserver plus de contrôle. Je dirais que les États dotés d'un processus d'initiative sont plus représentatifs, parce que les législateurs savent que ces processus peuvent être utilisés pour limiter leur pouvoir et autorité, et ils feront tout ce qu'ils peuvent pour empêcher aux gens de faire ça.
Aux États-Unis, la démocratie directe ne remplace pas la démocratie représentative, elle est un frein. Je pense que c'est essentiel: la plupart des gens au États-Unis ne poussent pas à l'abolition du gouvernement représentatif. Ils aiment le processus d'initiative parce que c'est un contrôle tangible qu'ils ont sur les législateurs.
Comme vous avez dit, il est également important d'avoir ces freins et contrepoids au niveau national, y a-t-il une chance qu'un processus d'initiative soit créé au niveau fédéral aux États-Unis?
Je pense que ce que nous voyons aujourd'hui dans ce pays, dans les 24 États qui ont le processus d'initiative, les législateurs sont devenus très hostiles à l'égard de cette mesure et rendent son utilisation plus difficile pour les gens. Je pense que c'est en corrélation directe avec la polarisation de la politique dans ce pays.
Il n' y a plus cette collaboration entre les deux parties pour faire ce qui est dans le meilleur intérêt de la population. Il est presque impossible d'essayer de parvenir à un consensus sur des questions. Lorsque les républicains contrôlent la législature de l'État, les démocrates se tournent vers le processus d'initiative parce qu'ils ne peuvent rien faire avec la législature de l'État, et vice versa.
Maintenant que les républicains contrôlent une très grande majorité des législatures d'état, ils travaillent très dur pour rendre le processus d'initiative presque impossible à utiliser: ils ne veulent pas que les démocrates utilisent le processus d'initiative pour briser le contrôle républicain. Au niveau de l'État, nous devons malheureusement travailler très dur pour protéger le processus.
Pour introduire le processus d'initiative au niveau national, il faudrait que le Congrès propose un amendement à la Constitution et dans notre histoire, nous n'avons eu que 22 amendements. Je pense que les gens le veulent au niveau national, donc je ne dirais pas que c'est impossible, mais c'est très improbable pour le moment.
C'est intéressant, parce que depuis l'élection de Donald Trump il y a un an, on entend souvent dire qu'il y a beaucoup d'indignation populaire et que les initiatives populaires sont florissantes, mais en même temps vous dîtes, cela devient plus difficile. Y a-t-il une tendance à utiliser davantage ces instruments depuis l'élection de 2016?
Au niveau local, les gens essaient d'organiser plus d'initiatives, parce que même si seulement 24 états ont le processus d'initiative, au niveau local il existe presque partout. Malheureusement, les législateurs des États qui voient cette utilisation accrue créent des lois de préemption. Et on ne peut pas faire au niveau local, ce qui n'est pas permis au niveau de l'état.
Beaucoup de gens, pour des raisons que je ne comprends pas, jusqu' à présent n'ont rien dit à propos de Trump parce qu'ils ont peur de la base qui le soutient. Beaucoup de gens perçoivent que cette majorité, ces 32% des gens, ne sont pas très gentils et ils ne veulent rien faire pour agacer cette "base". Mais je pense que de plus en plus de gens commencent à exprimer leur mécontentement avec Trump.
Au cours des trois prochaines années, plus de gens se tourneront vers la démocratie directe. On le constate déjà en Californie, où plus d'initiatives ont été déposées au cours de ce cycle électoral qu'on en avez vu au cours des 20 ou 30 dernières années. La frustration des citoyens face à la polarisation du président pousse donc les gens à la démocratie directe.
En Europe, récemment nous avons assisté à quelques élections où les partis d'extrême droite acquièrent plus de contrôle aux parlements, voire sont sur le point de remporter les élections. Cela a été utilisé comme un argument contre la démocratie directe, les opposants prétendent que les gens sont trop extrêmes ou ne soutiendront pas une politique réaliste. D'après l'expérience américaine, voyez-vous une légitimité à cette crainte?
Nous avons besoin de freins et de contrepoids pour tout. Aux États-Unis, nous avons nos trois branches: législative, exécutive et judiciaire. Et je pense que c'est essentiel. Je suis sûr qu'il y a des États où, s'ils pouvaient mettre une initiative sur le bulletin de vote pour interdire tous les musulmans, ils le feraient. Mais la magistrature et notre constitution fédérale empêcheraient ça: c'est exactement ce qu'il signifie d'avoir des freins et des contrepoids! C'est essentiel, ça et la protection des droits de l'homme.
Je crois fermement que les gens devraient avoir le droit de faire ce qu'ils veulent, mais seulement dans la mesure où ils ne portent pas atteinte aux libertés individuelles et les libertés d'autrui, comme le décrit la Constitution fédérale du pays.
Cela nous ramène à Donald Trump, qui, en tant que président, semble avoir été un défi sans précédent pour la constitution américaine. Estime-t-il que la Constitution est moins importante que les anciens présidents?
Je ne pense pas qu'il se fiche de la constitution, je pense qu'il ne la comprend pas. Il fait des choses que la plupart des gens jugent contraires à la Constitution, mais il n'en sait pas plus. Il représente les pires qualités qu'un leader pourrait avoir: il n' a aucune empathie, aucun bon sens, aucun sens intellectuel et il est un narcissique à l'extrême, dans la mesure où il ne fait que ce qui est dans son meilleur intérêt à lui. S'il était dans le secteur privé, ce serait tolérable, mais en tant que président des États-Unis, ce sont les pires qualités imaginables.
Mais nous, en tant que pays, nous survivrons encore trois ans avec Donald Trump, et la réalité est qu'il est un parfait exemple de la façon dont les freins et contrepoids fonctionnent. Il fait peur à beaucoup d'entre nous, mais nous avons la chance de vivre dans un pays où nous avons le contrôle. Nous survivrons, ce sera douloureux, mais nous survivrons.
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Interview par Caroline Vernaillen.