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La campagne au Michigan, le droit à la liberté reproductive et le pouvoir de l’initiative citoyenne

La campagne au Michigan, le droit à la liberté reproductive et le pouvoir de l’initiative citoyenne

31-08-2022

Les décisions politiques avec une dimension morale engendrent distinctivement plus de controverse, puisqu’elles constituent selon Christopher Mooney « l’affirmation d’un ensemble spécifique de valeurs fondamentales », et ne sont pas simplement perçues et évaluées selon des critères pratiques. Le risque de conflit lié à la gestion de ce type d’enjeux entraîne des difficultés à les résoudre dans la sphère exclusive de l’organe législatif, puisque n’importe quelle décision à ce sujet peut être remise en cause par d’autres instruments institutionnels aux mains des groupes opposés. Cela est illustré par le récent revirement de jurisprudence de Roe v. Wade par la Cour suprême américaine qui met fin au droit à l’avortement au niveau fédéral et permet à certains états de bannir complètement l’avortement – laissant ainsi les citoyen.ne.s se batailler pour protéger leurs droits reproductifs à l’échelle de leur état.

L’initiative du Michigan, le droit à la liberté reproductive a atteint un record de signatures récoltées en faveur de la consécration du droit à l’avortement dans la Constitution du Michigan. En vertu de la Constitution du Michigan, adopter un amendement constitutionnel par initiative citoyenne est possible si 10% du nombre d’électeur.rices qui a participé aux dernières élections signe la pétition, soit un total de 425 059 signatures valides sont nécessaires pour faire adopter l’initiative de novembre 2022. Les citoyen.ne.s du Michigan ont presque atteint le double du seuil requis avec 753 759 signatures considérées valides. Ce résultat est le fruit du travail intense des activistes ainsi que des 2 000 volontaires qui ont aidé à la collecte et promotion des signatures.  

« Je remarque un engouement pour ce processus que je n’ai jamais vu pour aucune autre initiative citoyenne au Michigan », affirme Summer Foster, la co-directrice de Voices Michigan - une organisation non-gouvernementale qui cherche à contribuer au développement de l’engagement civique. L’interdiction pénale de l’avortement en 1931 au Michigan, qui jusqu’à présent était caduc sous Roe v. Wade, est devenue soudainement une réalité pour les habitant.e.s du Michigan. Malgré l’accord par un juge du Michigan pour la suspension temporaire de l’interdiction demandée par la gouverneure démocrate Gretchen Whitmer, deux procureur.e.s de district ont fait appel à cette décision en se fondant sur leur statut d’élu.e.s locaux.les, et non d’élu.e.s au niveau fédéré, les soustrayant ainsi à la suspension temporaire de la loi de 1931. L’appel a été validé, cela signifie que dès le 21 août, la légalité de l’avortement dépendra de l’échelon local. Cela souligne d’autant plus le besoin d’action directe des électeur.rices du Michigan pour garantir leurs droits politiques et humains, puisqu’à l’avenir selon le district dont ils.elles dépendent, ceux-ci seront susceptibles de varier. 

Le Michigan est un des nombreux exemples d’initiatives citoyennes, avec la Californie, le Kentucky, le Montana et le Vermont qui affiche déjà ce sujet dans leurs référendums à venir et des campagnes sont en cours pour collecter des signatures pour un vote citoyen au Colorado, dans l’état de New York, en Pennsylvanie, dans l’état de Washington, dans l’Iowa, au Nevada et en Dakota du Sud. Bien que le Michigan est l’exemple le plus réussi d’initiative citoyenne concernant le droit à l’avortement, ce n’est pas le premier état à mettre le sujet sur le bulletin de vote. Le Kansas, un état à majorité conservatrice, s’est récemment prononcé sur une mesure par vote qui permet aux législateur.rices d’interdire l’avortement dans l’état. Les citoyen.ne.s du Kansas ont voté à très grande majorité « non », empêchant ainsi les dirigeant.e.s de rendre l’avortement illégal et de révoquer leurs droits sociaux liés à l’avortement. 

Des instruments tels que le référendum obligatoire au Kansas ou l’initiative citoyenne de référendum au Michigan sont des indicateurs importants de la capacité des citoyen.ne.s américain.e.s à utiliser les outils démocratiques en dehors des élections fédérales ou locales pour influencer les politiques de manière significative. Historiquement, ces deux méthodes ont servi à influencer le droit à l’avortement au niveau fédéré, la première manifestation avant Roe v. Wade était en 1970 quand l’état de Washington a voté pour légaliser l’avortement au sein de son état après une initiative citoyenne. Hormis les amendements à la Constitution, les pétitions initiées par les citoyen.ne.s peuvent aussi prendre la forme d’une révision de lois fédérées qui concernent directement l’état de droit. Cependant, tous les états américains ne prévoient pas une telle action démocratique directe, seulement dix-huit prévoient actuellement la possibilité de réviser leur Constitution par le biais d’une initiative citoyenne. De plus, bien que théoriquement il existe des mesures pour aménager ce processus dans l’Illinois et dans le Mississipi, la réalité est toute autre à cause des restrictions sur les sujets qui peuvent faire l’objet d’amendements et de la difficulté du processus de lancement et du déroulement derrière une initiative réussie, il est donc rarement mis en œuvre par les citoyen.ne.s.

Des amendements législatifs similaires ont été pris en Europe, douze référendums nationaux ont eu lieu depuis les années 70 sur l’avortement. Plus récemment, en 2021, San Marino a largement voté pour la fin de l’interdiction de l’avortement avec 77% de l’électorat en soutien à l’initiative, rendant ainsi la loi de 1865 caduc. De la même manière, le référendum irlandais de 2018 a débouché sur une loi légalisant l’avortement avec un vote de 66,4% pour et 33.6% contre.

La démocratie directe est souvent une nécessité pour la mise en œuvre d’une législation volatile du point de vue politique, puisque, notamment concernant l’avortement, ce n’est pas le changement d’opinion publique qui est le plus susceptible de mener à un changement législatif mais plus une poignée d’acteur.rices politiques influent.e.s. Bien que parfois la position de tel.le.s acteur.rices reflète l’opinion plus large du public, la plupart du temps, ce n’est pas le cas. Cela est illustré aux États-Unis, Roe v. Wade a fait l’objet d’une revirement de jurisprudence par la Cour Suprême malgré 61% des américain.e.s qui pensent que l’avortement doit être légal dans tous ou la plupart des cas, et avec seulement 37% en faveur de l’interdiction dans la plupart/tous les cas. Les outils tels que l’initiative citoyenne permet aux citoyen.ne.s de se mobiliser et de remettre en cause les décisions de tel.le.s acteur.rices politiques ou de leurs propres élu.e.s.

Dans d’autres cas, de tel.le.s acteur.rices peuvent décider d’influencer la loi sans égard pour l’opinion publique, tel que pour le référendum pour la légalisation de l’avortement au Lichtenstein en 2011, lors duquel le Prince Héritier Alois a ouvertement affirmé qu’il opposerait son veto à la légalisation de l’avortement, si elle était votée par les électeur.rices. Selon Nanuli Silagadze, les référendums pro-avortement sont plus réussis lorsqu’il y a un consensus relatif au sein du Parlement, un soutien des expert.e.s médicaux.les et un degré de sécularisation. Silagadze a mentionné le consensus comme un facteur particulièrement déterminant, puisque bien qu’un référendum est une forme de démocratie directe et ainsi dépasse largement les opinions politiques des représentat.e.s élu.e.s, ces représentant.e.s détiennent tout de même une influence sociale significative, étant donné qu’ils ont un pouvoir relatif et une plateforme pour promouvoir leur opinion.  D’après les travaux de recherche de Hanspeter Kriesi et Alexander Trechsel & Pascal Sciarini, la communication étant essentielle pour atteindre un nombre suffisant d’acteur.rices, la capacité à contrôler et à utiliser de tels canaux de communication peut influencer massivement n’importe quel référendum par la propagande et la désinformation par exemple, ou par la capacité à concentrer l’attention des médias – deux objectifs qui sont plus facilement atteints par les élites politiques et économiques. 

Alors que l’action démocratique directe peut souvent servir de reflet plus précis de la volonté collective des citoyen.ne.s , elle peut être influencée et manipulée, comme la plupart des institutions politiques par de mauvais acteur.rices et des systèmes qui le permettent. Un système démocratique collectif et sain est nécessaire pour assurer que l’action directe s’accompagne des effets voulus de représentation des croyances politiques collectives et de garantie que ces croyances seront consacrées dans la législation. Des situations telles que le revirement de la jurisprudence Roe v. Wade, malgré une opinion publique largement pro-choix souligne le besoin de conscience et de préservation de méthodes alternatives d’action politique qui sont par et pour les citoyen.ne.s mêmes. 

 

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