Introduite par le traité de Lisbonne et entrée en vigueur en 2012, l’ICE invite directement la Commission européenne à prendre une mesure contraignante sur un sujet sous réserve que le sujet en question soit soutenu par un million de citoyen.ne.s de l’Union européenne d’au moins sept États membres différents.
Avec la première ICE enregistrée en 2012, on compte en 2022 au nombre de six les initiatives qui ont reçu une réponse de la Commission européenne. De plus, trois initiatives sont actuellement à l’étape de vérification, représentant dix années d’action démocratique directe. Une décennie de passée et espérons de nombreuses à venir nous permettent d’examiner les idéaux européens du processus démocratique, pourquoi ils sont importants et ce que cela signifie d’être européen.e à l’heure actuelle.
L’ICE et la démocratie
L’Union européenne, ainsi que la plupart de ses États membres fonctionnent sur la base de la démocratie représentative – une forme de gouvernement où un.e élu.e représente la volonté d’un large groupe. L’ICE, en comparaison, est une forme de démocratie directe où les votes, ou signatures dans ce cas précis, ne servent pas à élire un individu mais un ensemble spécifique de propositions de lois et de règlements.
De nombreux.ses théoricien.ne.s politiques connu.e.s tel.le.s que Jeremy Bentham ou John Stuart Mill étaient partisan.e.s de la démocratie représentative à l’instar de la démocratie directe, craignant la « tyrannie de la majorité » - un concept selon lequel l’action démocratique directe peut entraîner des pratiques discriminatoires contre une minorité qui n’a peu, voire aucun pouvoir politique en raison d’un manque de représentation au sein du gouvernement officiel. La démocratie directe doit donc être mise en place prudemment car elle est accompagnée de ces obstacles, cependant l’ICE même est déjà équipée d’un mécanisme de garantie. Une ICE complète est soumise à la Commission qui en délibère, en partie pour évaluer la nécessité d’une telle législation sans se reposer seulement sur le nombre relativement limité de soutien à cette ICE. En outre, malgré les obstacles, il faut constater que la démocratie directe est une composante précieuse d’un système démocratique en bonne santé.
Selon Mill, la démocratie est – dans de bonnes conditions – un des outils les plus effectif pour promouvoir le bien commun. Le processus délibératif de la démocratie permet d’identifier les enjeux liés à la promotion du bien commun sur le critère de la bonne foi dans les débats et la communication. La participation politique universelle est la meilleure garantie que l’électorat sera représenté de manière adéquate dans les décisions politiques. Bien que Mill considérait que la promotion du bien commun était atteinte par la démocratie représentative, pour les raisons citées ci-dessus, l’essence de ses idéaux se retrouvent dans l’ICE.
L’ICE fonctionne en bonne partie selon le principe que Mill avait raison; que le bien commun est atteignable par le processus politique délibératif. Francesco, du programme d’échange service civique, constate qu’un des grands accomplissements de l’ICE a été « l’opportunité de partager l’idée, d’échanger sur cette idée ». – la capacité de faciliter le transfert de nouvelles connaissances, de nouveaux outils à ajouter aux instruments de conscience politique des citoyen.ne.s, leur octroyant ainsi le pouvoir d’agir pour ce qu’il considère juste. L’expert en sciences politiques David Altman (2012) soutient ce concept, affirmant que ce n’est pas en soi les résultats d’un mécanisme d’initiative citoyenne comme l’ICE qui compte, mais davantage le processus. La démocratie directe ne doit pas être perçue comme un substitut à la démocratie représentative, la question étant de savoir quel système est supérieur, mais plutôt comme un outil supplémentaire, essentiel pour la continuité et la santé du système démocratique. Les hypothèses contemporaines sur la démocratie dans les sociétés libérales sont souvent limitées par deux prémices : (1) les individus sont capables d’identifier leurs besoins et (2) seul.e ou au sein d’un groupe, ils.elles sont susceptibles de déterminer ces besoins. Un tiers ne peut les déterminer pour eux. Le processus même de démocratie directe met au défi les individus de déterminer leurs besoins et potentiellement d’agir en conséquence.
C’est un aspect qui fait défaut à la démocratie représentative, puisqu’elle n’incite pas les citoyen.ne.s à délibérer au quotidien et réfléchir à leurs besoins activement en dehors des grandes généralités telles que la réduction des impôts et un environnement plus sain. Les citoyen.ne.s ne sont pas encouragé.e.s à se pencher sur la manière dont ces idéaux devraient être exécutés – ce processus étant laisser aux mains des représentant.e.s en question. L’acte même de démocratie directe, quel que soit le résultat, nécessite que les citoyen.ne.s s’interrogent sur ce qu’ils.elles veulent et la manière d’y parvenir. Il encourage le dialogue, la discussion, le débat – lesquels sont selon Mill une composante essentielle d’une démocratie en pleine santé. L’ICE n’offre pas seulement un cadre facilitant une telle action de démocratie directe, mais elle encourage aussi un dialogue sur ce dont le peuple européen a réellement besoin.
Une nouvelle identité européenne
Depuis l’introduction de l’idée d’une « identité européenne » collective après la Seconde Guerre mondiale, cette identité est restée ambiguë. L’identité européenne individuelle, puisqu’elle est liée aux individus, est plus facilement discernable, tandis que ce qui constitue « l’Identité » européenne n’a toujours pas été concrètement établi. Dans une région aussi culturellement, socialement et politiquement diversifiée que l’Union européenne, il est difficile de trouver un terrain d’entente.
L’ICE permet à cet égard non seulement de façonner les politiques, mais aussi aux citoyen.ne.s de décider de ce en quoi consiste l’Identité européenne ; ce qui définit nos valeurs et nos convictions en tant que citoyen.ne.s européen.ne.s. Anne Hardt de Democracy International l’explique ainsi « (…) elle reflète les valeurs européennes, et la manière dont la participation directe et verticale des citoyen.ne.s contribue à des politiques durables et à la création d’une Identité européenne. » Par le soutien que nous apportons à certaines ICE, nous témoignons des mesures que nous voulons voir dans notre union collective, mais aussi renvoyons au reste du monde une image de ce que cela signifie d’être européen.ne. Antoine Thill de l’ICE Ecoscore européen fait remarquer avec éloquence qu’il « est important de prendre conscience que vous faites partie de quelque chose de plus grand que votre simple pays, que vous êtes européen.e.s au sens noble du terme »
Conclusion – 10 ans d’existence
Jusqu’à présent 90 ICE ont été initiées par plus de 800 militant.e.s et plus de 16 millions de signatures ont été recueillies à travers l’Union européenne. 17 ICE sont actuellement ouvertes aux signatures et bientôt, nous pourrions avoir 3 nouvelles ICE complètes une fois passée l’étape de la vérification. L’ICE est une opportunité pour les citoyen.ne.s de définir eux-mêmes l’Identité européenne – une de collaboration et de communication, malgré une très grande diversité politique et d’opinion. Bien que ce soit seulement une part d’un ensemble bien plus large d’appareils politiques, l’ICE nous offre la possibilité de déterminer collectivement ce que cela signifie d’être européen.ne. Malgré que l’ICE, en tant que mécanisme politique, peine encore à se faire une place dans le paysage politique, elle met en route le processus de démocratie directe qui encourage au débat, à l’échange et au dialogue nécessaires à l’unité européenne et à notre système démocratique de manière plus générale.