En 2021, 42% des chilien.ne.s ont élu.e.s les constituant.e.s qui rédigeront leur nouvelle constitution , les candidat.e.s élu.e.s étaient majoritairement de gauche et indépendant.e.s – en fort contraste par rapport aux politiques de droite antérieures au Chili. Après 10 mois de délibérations, une première proposition a été rendue publique le 13 mai qui inclut entre autres une restructuration des institutions gouvernementales du pays, de nouveaux droits en matière d’égalité de genre, une politique environnementale globale et la reconnaissance du caractère multinational du Chili.
A quelques semaines seulement du référendum sur la nouvelle constitution et alors que les campagnes pro et anti-proposition s’affrontent, les sondages montrent depuis avril un fort mécontentement avec la nouvelle constitution.
Nous nous sommes entretenus avec le Professeur David Altman de l’institut des sciences politiques (Instituto de Ciencia Politica) et l’université catholique pontificale du Chili (Pontificia Universidad Católica de Chile) pour discuter des raisons pour lesquelles les citoyen.ne.s sont susceptibles de rejeter cette nouvelle constitution.
Altman souligne que même si les élections de 2020 et 2021 qui ont été largement dominées par la gauche avec des constituant.e.s partisan.e.s d’une nouvelle constitution, elles ne représentent pas adéquatement le peuple chilien. « (…) le référendum et le vote établissant la nouvelle assemblée ne représente que 40% de l’électorat. Donc cette victoire « monumentale » doit être considérée avec beaucoup de précaution ». Le vote de 2022 pour ratifier la nouvelle constitution va en comparaison mobiliser aux bureaux de vote un électorat beaucoup plus large et divers.
En plus des statistiques des deux premiers votes qui portent à confusion, la nouvelle constitution a de nombreux défauts qui inquiètent les chilien.ne.s. Lorsqu’on lui a demandé de s’exprimer sur les lacunes principales de la constitution, Atman a répondu « la perfection est toujours l’ennemi du bien. Cette ébauche est maximaliste sur de nombreux aspects ».
En effet, la nouvelle constitution proposée est ambitieuse sur de nombreux points, autour des droits politiques et sociaux de groupes historiquement marginalisés tels que les femmes, les populations autochtones et les personnes handicapées, tout en garantissant le droit universel au logement, à l’éducation, à l’eau et la liberté d’expression. Bien que l’ancienne constitution comportait aussi des provisions sur de telles thématiques, la nouvelle ébauche va davantage dans les détails. Par exemple, l’ancienne constitution interdisait la discrimination de genre, celle nouvellement proposée organise la parité dans toutes les branches du gouvernement et du service publique - cela signifie que si la constitution est adoptée, ces institutions devront respecter des quotas de 50% d’hommes et 50% de femmes. Bien que la controverse autour de cette mesure est sans aucun doute de nature sexiste. Atman souligne que « (…) ce filet de protection sociale qu’ils.elles tentent de mettre en place arrive après des années de stagnation des droits sociaux – la question est surtout de savoir si cela devrait être consacré dans la constitution ou non. (…) Si l’on compare cette proposition aux nombreuses constitutions qui existent actuellement en Europe, on remarque que celle-ci est très exhaustive. De nombreuses constitutions européennes ne sont pas aussi spécifiques – c’est là l’affaire du droit ordinaire. »
Cependant, bien que la constitution proposée au Chili est très spécifique sur de nombreux points, elle comporte de grandes lacunes dans d’autres domaines vitaux. Atman note qu’en dépit de sa nature maximaliste, la constitution manque d’adresser les enjeux les plus urgents au Chili. « La constitution dans son ensemble est un petit peu problématique pour de nombreuses personnes. Par exemple, avec cette constitution, le président ne peut pas déclarer l’état d’urgence à aucun niveau, sauf dans le cas d’une catastrophe géographique ou quelque chose de similaire. Mais actuellement, le Chili a deux états d’urgence exceptionnels – dans le nord concernant la criminalité et l’immigration illégale, et dans le sud dû aux violences ethniques. Ainsi, dans l’hypothèse où cette proposition est adoptée, la question se pose de savoir ce qu’il adviendra lorsque le 5 septembre le président ne pourra plus rien déclarer de tel – il n’y a aucune provision dans la constitution qui a été rédigée afin de déclarer un état d’urgence pour contenir la violence. Que va-t-il donc se passer? Personne ne le sait. » Il semblerait que la constitution ne traite pas des enjeux actuels du Chili ce qui inquiète les chilien.ne.s quant aux conséquences immédiates de cette nouvelle constitution. La constitution est idéaliste dans la mesure où nombreux sont ses objectifs, qui, tels que le droit au logement libre et universel, nécessiteraient des années avant de se concrétiser – même si ces mesures sont techniquement implémentables et pourraient potentiellement être bénéfiques sur le long terme.
Le rendu final est une constitution qui paraît contradictoire dans son essence; à la fois trop détaillée et omettant des éléments déterminants, progressive et ambitieuse tout en manquant d’adresser des enjeux significatifs tels que la criminalité, l’immigration qui apparaissent en haut de la liste des inquiétudes de l’électorat chilien.
Atman théorise que de nombreux problèmes inhérents à la constitution proviennent du processus de rédaction qui a été pour la majeure partie réalisé par des indépendant.e.s non affilié.e.s à des partis politiques. « Une part importante de l’assemblée constituante n’a pas suivi les règles de négociations traditionnelles. Quand il s’agit de négocier, il faut renoncer à certaines idées, or ces personnes étaient monothématiques sur une section spécifique de la constitution. » En effet, un nombre inattendu de constituant.e.s désigné.e.s pour rédiger la convention étaient des individus habitué.e.s à représenter une plus petite communauté ou un groupe restreint aux intérêts spécifiques communs, ce qui explique le niveau anormal de précision quant aux droits humains et sociaux présents dans cette ébauche constitutionnelle. Rédiger une constitution est une entreprise longue et complexe peu importe qui est impliqué dans le processus, toutefois la part des constituant.e.s non affilié.e.s politiquement peut avoir eu une incidence sur le processus de coordination et de négociation.
Cependant, malgré les sondages indiquant une insatisfaction avec la nouvelle constitution, cela ne signifie pas que les chilien.ne.s veulent pour autant conserver leur constitution telle qu’elle. Puisqu’elle a été établie par un régime dictatorial militaire et n’a jamais été approuvée démocratiquement par les chilien.ne.s, même ceux.lles opposé.e.s à la nouvelle constitution revendiquent des réformes importantes du régime. « Nous sommes dans un contexte très intéressant où tous les partis politiques sont en faveur d’une révision de la première ébauche. Selon Atman, les partisan.ne.s de la proposition disent « donnez-nous vos votes et nous changerons l’ébauche », et les opposant.e.s répliquent « donnez-nous vos votes, nous modifieront la constitution ». Même si seulement 50% des chilien.ne.s ont voté au référendum de 2020, cela signifie tout de même que 40% des chilien.ne.s ont voté pour une nouvelle constitution, c’est une donnée difficile à ignorer. Atman ajoute avec une certaine précaution qu’il « pense que le son d’alarme et le message que les chilien.ne.s ont fait passé en 2020 est suffisamment clair et je pense que la plupart des hommes et femmes politiques s’accordent sur le fait qu’un changement doit être mis en place. Comment cela va se dérouler, je n’en ai aucune idée. Mais je crois qu’il est réalistiquement impossible que nous restions avec la constitution telle qu’elle est actuellement. » Dans une période de troubles politiques avec les tensions qui s’accentuent à l’approche du vote, peu importe le résultat, le Chili est vraisemblablement engagé dans un processus long et complexe de révision de son système politique.